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De l’art ou du cochon ?
Jacques Mougenot entre sur scène tel le conférencier moyen. Costume anthracite et chemise bleue d’un classicisme de bon aloi, col ouvert, décontracté mais sérieux, sérieux mais déjà la pirouette langagière prête à divertir son assistance.

Le verre et la carafe, les diapositives qui, le moment venu, illustreront cette pseudo-conférence persifleuse sur l’art contemporain en général et le scandale rattaché à l’œuvre de Philippe Dussaert (1947-1989) en particulier. « Jusqu’où l’art peut-il aller trop loin ? » est la question à laquelle le comédien-auteur-metteur en scène s’attache à répondre en détaillant tous les tenants et aboutissants de cette invraisemblable affaire aux portées esthético-ontologiques. Pour ceux qui seraient passés à côté de cette histoire rocambolesque, Jacques Mougenot rappelle que « l’affaire Dussaert » prend sa source à la fin des années 1980, lors de l’ultime exposition du peintre vacuiste organisée par son amie et mécène, la galeriste Peggy d’Argenson.

Après une première série de toiles, peintes en 1981, et revisitant quelque vingt chefs-d’œuvre en en faisant disparaître les personnages (« Après le radeau », « Après la Joconde »…), ce « peintre de l’effacement » décide de mettre un terme à sa production en présentant l’aboutissement de sa recherche artistique : « Après tout ». Allant au plus loin de sa radicalité, Dussaert efface ainsi tout ce qu’il est possible d’effacer et présente une salle d’exposition sans toile, sans dispositif, sans œuvre concrète : le néant. Bien sûr, cette démarche minimaliste, voire nihiliste, compte plus d’un antécédent. Alphonse Allais, en 1883, réalise sa « Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige », œuvre constituée d’une feuille de bristol totalement blanche.

Dans la foulée, il persiste et signe une pièce musicale sans note, la « Marche funèbre composée pour les funérailles d’un grand homme sourd », justifiant la virginité de sa partition par un humoristique « les grandes douleurs sont muettes ». D’Alphonse Allais à Yves Klein — qui expose le vide en 1958, se contentant de peindre les vitres de la galerie Iris Clert de son bleu « IKB » (International Klein Blue) —, en passant par les « ready-made » de Marcel Duchamp, Jacques Mougenot relie l’œuvre de Dussaert à l’histoire des expériences artistiques d’avant-garde et dénonce, tout en faisant mine de ne pas, ce qu’il considère comme des formes de dérive. « C’est avec des mots que rien devient quelque chose », déclare-t-il, « c’est avec des mots que l’on nous fait prendre des vessies pour des lanternes ».

Les amateurs d’art conceptuel apprécieront. Soucieux d’ouvrir les yeux du public sur les dangers de la manipulation, l’apprenti conférencier se pose donc la question de la définition de l’œuvre d’art, sonde le fossé séparant les impostures des véritables actes de création. [...] Si Jacques Mougenot ne cesse de répéter, tout au long de son spectacle-conférence, qu’il n’est pas là pour juger l’œuvre de celui que Peggy d’Argenson aurait elle-même qualifié d’ « Hamlet souffreteux et dépressif », il ne manque pas une occasion de darder ses piques à l’endroit des bouffissures intellectualistes, faisant le public se gausser dans une manière de « c’est tellement ça ! ».

Car l’orateur n’a aucune affinité avec l’œuvre de Dussaert. Il finit par l’admettre, très humblement, en fin de discours, non sans avoir une fois de plus avoué qu’il n’est qu’un néophyte en la matière. Mais son avis est clair : il convient de se méfier comme de la peste des raisonnements fumeux et, surtout, des belles mécaniques visant à impressionner ceux qui, comme lui, ne savent pas. A l’issue de cette représentation, le public aura sans doute saisi le danger de ces habiles mystifications. Et c’est là le principal intérêt de ce spectacle non théâtral, dont on peut regretter les accents parfois démagogiques. A moins que l’on ne prenne le parti de ne faire qu’en sourire, en passant sur ces attaques en demi-teinte contre l’art contemporain.

Manuel Piolat Soleymat
Théâtre OnLine, février 2006